Pierre Labat
Affinity, Palais de Tokyo

Grande allée du Palais de Tokyo, première à droite, l’œuvre Affinity de Pierre Labat se révèle tout en créant le trouble. Voir l’espace est bien ce qui se trame dans cette œuvre, aux accents phénoménologiques, qui tend vers l’avènement de son contexte. Affinité avec le lieu, en effet, car l’œuvre se veut en interaction avec ces spécificités. Se jouant des éléments physiques (mur blanc, hauteur de plafond, largeur de la salle), Pierre Labat propose une pièce qui défie les lois de l’attraction. Légèreté, suspension, poids deviennent les maîtres mots de ce travail. Frontale et inerte, Affinity se présente tel un morceau de mur blanc courbé et suspendu au plafond. Pliure de la matière ne touchant aucun mur ni même le plafond, l’œuvre se tient "magistralement" devant le spectateur. Blanc sur blanc, elle souligne les paradigmes du white cube. Souple ou solide, l’œuvre donne l’impression d’une courbure naturelle comparable à une feuille blanche pliée par la main. Revient à la mémoire les quelques lignes de Brian O’Doherty dans l’ensemble de textes réunis sous le titre White Cube, l’espace de la galerie et son idéologie qui précisait "le lieu d’exposition est cadre, format et norme". A la recherche des limites de l’œuvre d’art, la fabrique de l’histoire du white cube est constante. Dès lors, Affinity, "surface sous tension" blanche et courbée implique le corps, chacun doit y trouver sa place, sa posture. C’est bien par un placement délicatement choisi et inhérent à la pièce que le trouble s’installe dans cette exploration des physiologies de l’espace. Le mur blanc de l’espace est remodelé, redoublé. Des forces en présence semblent jouer avec les contradictions architecturales.

Oscillant entre un art minimal très référencé et au monde usuel, Pierre Labat propose une œuvre qui n’est pas l’illustration d’une prouesse architectonique. Tout se passe dans un geste sculptural simple et pragmatique. La rencontre d’un mur et d’un plafond invite à circuler autour, à lever les yeux, à jouer de la verticalité. Suspendu et massif, ce pan de mur blanc nous demande une mise au point, un équilibre à tenir. Entre l’évocation d’un écran de projection et le mouvement d’une vague, Pierre Labat met le geste au centre de son travail. On a pu déjà remarquer ces sculptures-architectures avec les pièces Dum-Dum (2008), double entaille quasi-miraculeuse d’un mur et Space Between (2006), une colonne blanche coupée en biais qui perd toute fonction de soutènement. Sensation et phénomène se trouvent à leur paroxysme. Le déploiement de ses œuvres dans l’espace tente de toucher du doigt un nouveau suprématisme, celui du blanc, de la forme dans l’espace. Travaillant constamment la troisième dimension, les œuvres de Pierre Labat s’immiscent pourtant dans une possible réflexion du plan pictural, de son histoire et de sa mystique.

Marianne Derrien, 2009